
Une petite fille est assise sur deux énormes coussins qui lui permettent d’être à la hauteur de la table, placée à ses côtés, recouverte de velours vieux rose et sur laquelle est posée une montre. Elle est installée dans une loggia qui s’ouvre sur un grand parc. Elle tient une coquille et une paille et s’amuse à faire des bulles de savon, en compagnie d’un perroquet, à ses pieds, et d’un chien qui s’élance joyeusement en direction de la bulle. Elle est somptueusement vêtue d’une robe damassée de couleur or et d’un manteau bleu assorti au revers de la robe, et porte des bijoux au bras, à l’épaule ainsi qu’un diadème de perles dans les cheveux. Une noble origine ?
Effectivement, cette petite fille, c’est mademoiselle de Tours, le cinquième enfant naturel de Louis XIV et de sa maîtresse, Madame de Montespan. Née en 1674, elle meurt en 1681 à l’âge de sept ans. Et c’est à Pierre Mignard qu’a été commandé son portrait.
Né à Troyes en 1612, Pierre Mignard débute son apprentissage à Bourges, puis fait un voyage à Rome avant de revenir en France en 1657. Il suscite rapidement l’intérêt grâce à ses talents de portraitiste et à la réalisation de grandes compositions décoratives, comme la coupole de l’église du Val-de-Grâce à Paris. Quelques années après la réalisation de ce portrait, il sera nommé premier peintre du roi par Louis XIV.
Dans cette œuvre, le peintre place son sujet au centre du tableau, inclus dans un triangle, encadré par les deux verticales formées par les colonnes. Cette composition, très classique, amène de la stabilité à la composition.

Ce qui est moins classique, c’est la manière dont Mignard représente l’enfance, à une époque où les enfants sont souvent montrés comme des adultes en miniature, dans des compositions très statiques. C’est le cas par exemple dans le portrait de mademoiselle de Blois, autre fille naturelle de Louis XIV.

A contrario de ce type de portraits très « posés », Mignard montre la petite fille dans une attitude plus conforme à l’enfance : elle est occupée à jouer, en compagnie de ses animaux favoris. En l’installant sur de gros coussins, le peintre accentue sa petite taille. Il lui donne également une attitude moins sévère en décalant un genou plus haut que l’autre, ce qui crée une ligne qui répond à celle formée par le chien sautant vers sa maîtresse. Ces deux lignes ascendantes dynamisent la composition.

Ce qui dénote dans ce portrait d’enfant, c’est ce visage un peu triste, qui regarde le spectateur avec un air un peu mélancolique.
C’est qu’en réalité, le portrait a été peint en 1681 ou 1682, soit juste après la mort de mademoiselle de Tours. Il s’agit donc d’un portrait posthume. Les différents détails dans le tableau en sont autant d’indices.
La montre posée sur la table est un symbole classique du temps qui passe. La bulle de savon évoque, elle, la fragilité de la vie, prête à éclater à tout instant.

Le paysage lui-même est un paysage d’automne, avec une lumière qui est celle du soleil couchant. Il est possible que le chien saute vers sa maîtresse avec la préscience que la bulle est un mauvais présage. Le perroquet, quant à lui, est un symbole de pureté, associé à la virginité de Marie, comme on peut le voir chez Van Eyck et Van Heemskerck. On pensait alors que l’oiseau répétait toujours le mot AVE, comme l’ange Gabriel s’adressant à Marie par les mots Ave Maria. Ici il renvoie à l’innocence de la petite fille.





Nous avons vu que les portraits d’enfant ressemblent encore beaucoup aux portraits des adultes. Depuis la Renaissance, on peint surtout les enfant royaux et les portraits servent à montrer la continuité dynastique. Les enfants ne sont vus que comme de futurs dirigeants. Les poses y sont rigides et les visages impassibles.




A partir du XVIIIe siècle, l’enfant prend une place de plus importante dans la société, notamment sous l’influence de Rousseau. Les portraits deviendront de plus en plus intime, familiaux et montrant souvent les joies de l’enfance.


Pierre Mignard livre avec ce tableau un portrait de petite fille, en avance sur l’esprit de son époque, réussissant à mêler un aspect vivant et dynamique et un sentiment mélancolique à ce portrait posthume. Avec ses couleurs somptueuses et ses détails attachants, il produit sans doute l’un de ses plus beaux portraits.
Et vous, qu’en pensez-vous ?