Francis Bacon et le portrait de George Dyer

Francis Bacon, Portrait de George Dyer dans un miroir, 1968, Huile sur toile, 198×177 cm, Madrid, musée Thyssen-Bornemisza

Francis Bacon naît à Dublin en 1909, de parents anglais. Il a une enfance difficile à cause d’une santé fragile et, à l’adolescence, son père le rejette du foyer lorsqu’il découvre son homosexualité. Après une période de plusieurs mois passés entre Paris et Berlin pendant laquelle il découvre Picasso et les surréalistes, il rentre à Londres en 1928 et décide d’entreprendre une carrière de peintre. Bacon n’aura jamais de formation dans une école d’art. C’est un autodidacte qui sera toujours influencé par de grands peintres comme Picasso, Vélasquez ou Rembrandt. Après des débuts très difficiles, son travail finit par être reconnu à partir des années 50 et sa première rétrospective a lieu en 1955. Quelques années plus tard, en 1963, il rencontre George Dyer qui devient son amant et l’un de ses modèles préférés comme en témoigne notre tableau.

Sur cette toile, on voit George Dyer, en costume et cravate, assis sur une chaise pivotante, jambes croisées. Il tient à la main une cigarette et ce qui semble être un miroir à main. Il a le visage tourné vers un étrange meuble, qui tient autant de la coiffeuse, du négatoscope que du poste de télévision, dans lequel se reflète son visage, en légèrement plus grand. Le reste du décor est quasiment vide. La figure se détache sur un cercle bleuté, sans doute de la moquette et le fond est d’un bleu-gris uni, seulement traversé par une ligne blanche en demi-cercle.

Le personnage est placé au centre de la toile. Le bas de son corps semble contenu dans le cercle dessiné par la moquette alors que le visage et son double paraissent coincés entre deux demi-cercles.

Le cercle lumineux sur lequel se détache la figure compose une sorte de décor de théâtre. George Dyer est au centre de la scène, mis en avant par une sorte de halo de projecteur. Dans le même temps, il est seul, isolé au milieu d’un décor vide. Il est seul face à lui-même, à la fois exposé et livré à la solitude.

Le visage du personnage n’est pas reconnaissable. Il est déformé, distordu par les traits de pinceau, ce qui est caractéristique des portraits de Bacon qui s’inspirait des portraits aux visages « éclatés » de Picasso. A contrario, le reflet du visage dans le miroir est traité de manière assez naturaliste et on peut facilement reconnaître le profil un peu anguleux de Dyer.

Ce même reflet dans le miroir est coupé en deux. Est-ce l’effet d’un reflet sur le verre dû au hasard ? Ce même hasard qui fait projeter au peintre d’épaisses traces de peinture blanche sur le côté gauche du cercle ? Cette coupure est peut-être aussi une manière de montrer la double nature du caractère de Dyer : d’un côté, voleur à la petite semaine, violent, sadique et alcoolique et, en même temps, dépressif, docile et pétri d’admiration pour Bacon. Cette fracture révèle la complexité du personnage, comme elle révèle le complexité des rapports, pour le moins tumultueux, entre le peintre et son modèle. Il me semble que cette idée de coupure est reprise par une fine ligne blanche verticale qui partage en deux le corps du personnage.

Dans ce portrait, comme dans tous ces autres portraits, Francis Bacon ne cherche pas à donner une image réaliste de ses modèles. Dans les déformations qu’il leur fait subir, il chercher à pénétrer leurs âmes et leurs entrailles. Il veut transcrire les aspects les plus sordides, les plus profonds de la nature humaine. Il veut faire affleurer l’animalité cachée au plus profond de ses modèles. Ces visages déformés sont aussi une image de l’impermanence pour un peintre qui disait que peindre un portrait, c’était peindre la mort au travail.

Et justement, la mort va rattraper George Dyer, trois ans plus tard, le 24 octobre 1971. Deux jours avant la rétrospective Bacon au Grand Palais, George se suicide dans leur chambre d’hôtel. Traumatisé par cet épisode, Bacon lui dédiera une série de triptyques.

En attendant la tragédie, Bacon nous plonge, de la plus belle des manières, au plus profond de la personnalité de son amant. Et vous, qu’en pensez-vous ?

Francis Bacon, En souvenir de George Dyer, 1971, Huile sur toile, chaque panneau : 198×147 cm, Bâle, Fondation Beyeler

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