Luca Giordano naît à Naples en 1634. Possession du royaume espagnol, gouvernée par un vice-roi nommé directement par le roi d’Espagne, Naples est alors la ville la plus peuplée d’Italie. C’est une ville marchande, très cosmopolite. Luca Giordano y apprend la peinture auprès de son père, lui-même peintre et marchand de tableaux. Il révèle vite un talent particulièrement précoce. Sa virtuosité technique et sa rapidité d’exécution lui valent rapidement le surnom de « Luca fa presto » (Luca fait vite).
Au début de sa carrière, il produit de nombreux pastiches et imitations de Raphaël, Titien ou Corrège. Cela lui permet de vendre à une clientèle amatrice de copies mais aussi d’assimiler les leçons de ces grands peintres.

Giordano imite le style de Raphaël et pousse le pastiche jusqu’à utiliser le même type de format (tondo) et de support (bois) qui ne sont plus en usage à son époque. Il va même jusqu’à signer « Raffaello ».
Vers 1653, Luca se rend à Rome où il s’imprègne de l’art des grands artistes dont il voit les œuvres, de Raphaël à Pierre de Cortone en passant par Rubens ou Poussin. Il en revient avec un style qui lui est propre, dynamique, lumineux et clair qui s’adapte bien aux grandes compositions religieuses en vogue à l’époque.

La composition, basée sur une série de diagonales, est très dynamique et est claire et lisible. Les couleurs y sont extrêmement lumineuses.
Les premières œuvres du peintre sont aussi marquées par l’enseignement qu’il a reçu du principal peintre de Naples, Jusepe de Ribera, qui est, lui-même, fortement marqué par l’esthétique du Caravage. En ce début du XVIIe siècle, les artistes napolitains sont très réceptifs au caravagisme et, Luca Giordano doit se confronter à des peintres comme Caracciolo et Ribera, bien sûr, qui sont un peu plus âgés que lui, puis ensuite à Mattia Preti. Souvent, il entre en concurrence avec eux en traitant des sujets identiques.

Le style est très nettement influencé par Caravage : naturalisme des corps, lumière violente, cadrage serré. Le tableau est inspiré de la Flagellation du Christ du Caravage.



Si Ribera met l’accent sur les figures d’Apollon et du satyre Marsyas, traitées avec un grand naturalisme, Giordano décentre légèrement son sujet vers la droite, laissant plus de place à l’effroi du satyre qui assiste à la scène.


Quant Mattia Preti propose un tableau monumental, très chargé en personnages, qui lui permet de montrer un grand talent de coloriste, Giordano préfère se concentrer sur la figure du saint qui occupe presque tout l’espace et sur une gamme chromatique de bruns assez restreinte.
Une des salles de l’exposition fait la synthèse de ces différentes tendances en montrant trois versions de la figure de saint Sébastien, une de Ribera, une de Preti et une de Giordano.
Si ces trois versions sont traitées dans une veine réaliste, Ribera s’éloigne de Caravage en utilisant une lumière plus douce et dorée, proche de la peinture vénitienne, et ouvre l’espace vers un fond de ciel. Preti met en valeur les émotions du saint alors que Giordano, très proche de Ribera dans la composition, reste sur un contraste de lumière très vif et une gamme de couleurs limitée, dans un souci de dramatiser la scène.
Comme de nombreux autres peintres de son temps, Giordano traite le thème des philosophes. En effet, l’époque accorde une grande importance aux images de vies exemplaires et redécouvre des courants de philosophie antiques comme le stoïcisme et le cynisme.

Par son dénuement (fond neutre, vêtements rapiécés, nombre limité de couleurs), le tableau invite le spectateur à s’interroger sur la primauté de la valeur intellectuelle face au monde des apparences. Le philosophe est dépourvu de tout bien matériel et est entièrement préoccupé par sa réflexion, d’où son attitude mélancolique, tête penchée, regardant vers l’extérieur du tableau.
Lors de son voyage à Rome le peintre avait également assimilé les leçons des grands décors baroques de Pierre de Cortone ou du Bernin. A partir des années 1650, il en tire pleinement les bénéfices et utilise le vocabulaire baroque qui tente de faire participer le spectateur à la scène représentée. La toile devient une grande scène de théâtre, faite pour émouvoir celui qui la regarde.

Il y a une grande dynamique de lignes qui semblent tirer le sujet vers la gauche du tableau. Le peintre travaille différents jeux de lumière : reflets sur l’armure, lumière divine qui tombe sur les colonnes et le visage de la sainte, bras du bourreau vu à contre-jour.
Il se met également à peindre des sujets profanes dans lesquels il fait souvent référence à la peinture de Titien.

On constate un contraste entre la sensualité dans la représentation très charnelle du corps féminin et la violence du propos, puisque qu’il s’agit d’un viol.
En 1656, un épisode dramatique bouleverse la ville de Naples. La peste s’abat sur la ville qui perd la moitié de sa population en six mois. Pour les artistes ayant échappés au fléau, comme Giordano, l’événement devient une source d’inspiration. Le vice-roi lui commande un retable consacré à saint Janvier, qui aurait sauvé Naples de la peste. Selon la légende, le peintre l’aurait exécuté en deux jours seulement.

Luca Giordano oppose la vision miraculeuse de saint Janvier, traitée dans des tons clairs et lumineux et un premier plan macabre composé d’un enchevêtrement de cadavres. Géricault s’est sans doute inspiré de ce premier plan pour élaborer ses figures de mourants au premier plan du « Radeau de la Méduse ».

Vers 1687, Charles II d’Espagne l’invite à Madrid pour orner de fresques le monastère de l’Escorial ainsi que les palais de Madrid, Tolède et Aranjuez.

Assomption de la Vierge, 1690, Huile sur toile, 134×95 cm, Tolède
Remarquez le magnifique trompe-l’oeil du faux bois.
Luca Giordano rentre définitivement à Naples en 1702 et entame un dernier cycle de six toiles pour l’église des Girolamini. Elles sont consacrées à saint Philippe de Neri et saint Charles Borromée, deux figures emblématiques de la Contre-Réforme.

La peinture prend un aspect plus proche du « non fini ».
L’artiste meurt en 1705 en laissant une œuvre particulièrement importante à Naples qui impressionnera fortement des peintres français du XVIIIe siècle comme Fragonard ou Hubert Robert, et du XIXe siècle comme David ou Géricault.
Une très belle exposition, claire et didactique, qui permet de se familiariser avec l’œuvre d’un peintre peu connu en France. Mention spéciale à la très belle scénographie qui permet au spectateur de se plonger dans les décors italiens ou espagnols.
Exposition Luca Giordano. Le triomphe du baroque napolitain jusqu’au 23 février au musée du Petit Palais à Paris
Magnifique chronique. Je pense ne pas aller la découvrir, alors cet article m’apprend bcp! 😉
J’aimeJ’aime
Merci beaucoup
J’aimeJ’aime