Dominikos Theotokopoulos (dit le Greco) est né en Crète, à Héraklion, en 1541. Cette île grecque est, depuis le XIIIe siècle, sous la domination de la République de Venise et est un carrefour important pour les échanges commerciaux en Méditerranée. Pour autant, lorsque l’on est peintre en Crète, on se forme dans la tradition byzantine. C’est le cas du Greco qui commence par être un peintre d’icônes tout en profitant du cosmopolitisme de l’île pour s’ouvrir à la modernité des œuvres de la Renaissance, qui y parviennent par le biais de la gravure.

On retrouve les éléments de la tradition byzantine (fond d’or, codification des couleurs, personnages de face ou strictement de profil) auxquels Greco mêle des influences occidentales avec un essai de rendre la profondeur et de traduire le volume du corps.

Rêvant des grands maîtres de la Renaissance italienne, Greco décide de rejoindre Venise en 1567. Il y découvre ses modèles que sont Titien, Tintoret ou Bassano. Il y apprend la grammaire picturale de la Renaissance et le goût des couleurs propre à Venise. Le triptyque de Modène témoigne de cette évolution.

C’est un autel portatif destiné aux oraisons privées. Il représente, au recto, de gauche à droite, l’Adoration des bergers, le Jugement dernier avec l’allégorie du Chevalier chrétien et le Baptême du Christ. Au verso : l’Annonciation, le mont Sinaï avec Moïse recevant les tables de la Loi et Adam et Eve chassés du Paradis. On a une impression de grande vivacité dans la composition, accentuée par un irréalisme extraordinaire des couleurs (notamment le ciel orange vif). Le peintre y a intégré les marques de la peinture italienne de la Renaissance : modelé des corps, utilisation de la lumière et suggestion de l’espace.

Le marché de la peinture étant très concurrentiel à Venise, Greco ne réussit pas à se faire une place et décide de gagner Rome où il se confronte à l’art de Michel-Ange. Ignorant la technique de la fresque, il a alors surtout accès au marché de tableaux de dévotion de petites dimensions, destinés à une clientèle privée.

La composition en forme de pyramide et le corps contorsionné du Christ sont empruntés au groupe de la Pietà sculpté par Michel-Ange pour son propre tombeau.


Greco maîtrise à présent l’anatomie, le mouvement, la couleur, les jeux entre lumière naturelle et artificielle et la perspective. L’influence de Venise transparait encore dans cette toile avec un décor d’architecture classique qui évoque Tintoret et Véronèse.

Le parcours de l’exposition propose de se focaliser sur l’activité de portraitiste du Greco, qu’il a poursuivi tout au long de sa carrière, produisant de nombreux portraits d’une grande sobriété, alliée à une formidable intensité psychologique.

Ce portrait est à la fois d’une grande sobriété (fond neutre, gamme chromatique limitée, pose face au spectateur) et, en même temps d’une grande vivacité par le jeu des plis et une touche ample avec de larges coups de brosse.

Le style tourmenté typique du peintre ( ciel d’orage, torsion et étirement des corps, visages extatiques) est tempéré par une composition très symétrique et une gamme de couleurs austères.
Parlant mal italien, ne connaissant pas la technique de la fresque, Greco ne trouve pas plus sa place à Rome qu’à Venise. Un ami espagnol lui offre alors un soutien auprès du roi Philippe II, en Espagne, qui cherche des peintres pour le chantier du monastère de l’Escorial. C’est ainsi que l’artiste s’installe à Tolède en 1576. L’année suivante, il signe ses deux premiers contrats pour décorer l’église Santo Domingo el Antiguo ainsi que pour la sacristie de la cathédrale de Tolède. Ils lui permettent enfin de faire reconnaître son art et de recevoir une commande de Philippe II pour l’Escorial, « L’Adoration du nom de Jésus ».

Le titre n’est peut-être pas tout à fait juste car, plutôt que le partage de la tunique de Jésus par des soldats jouant aux dés (que l’on ne voit d’ailleurs pas sur la toile), il s’agit plutôt du dépouillement de sa tunique par le bourreau avant le supplice. Mais ce n’est que mon avis. Sur ce grand tableau, l’accumulation des personnages enlève presque toute profondeur, les couleurs y sont violentes et les corps étirés en longueur. J’aime particulièrement la virtuosité avec laquelle Greco fait se refléter la tunique rouge du Christ sur l’armure de l’homme se tenant à ses côtés.


La composition en deux registres est inspirée de l’Assomption peinte par Titien pour l’église dei Frari à Venise. Les couleurs raffinées se détachant sur un fond clair, la monumentalité des figures et l’absence de tout détail superflu en font une œuvre d’une grande lisibilité.


Greco restera à Tolède jusqu’à sa mort en 1614, s’intégrant rapidement au cercle des humanistes locaux. Il y reçoit de nombreuses commandes de tableaux pour les diverses institutions religieuses, des portraits mais aussi quelques sujets mythologiques et des paysages.

Greco transpose une scène censée se passer au IVe siècle, à son époque. Le jeune cavalier est vêtu d’une armure du XVIe siècle. Il faut remarquer la merveilleuse vue de Tolède en arrière-plan. J’aime chez Greco cette impression d’imprécision, voire d’esquisse, lorsque l’on voit l’œuvre dans son ensemble qui contraste avec la précision de certains détails.




Possible allégorie du désir charnel, ce tableau pourrait aussi s’inspirer de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien. Remarquez l’intérêt pour les formidables effets de lumière et pour la tête du singe, presque que plus « humaine » que celles de ses deux compères.

Voilà, ces quelques peintures ne sont qu’une petite partie des chefs-d’œuvre qui jalonnent la magnifique exposition organisée par le Grand Palais, qui retrace de manière claire et didactique le parcours d’un dieu de la peinture.
Exposition Greco au Grand Palais jusqu’au 10 février 2020